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Rubin Pohor (2) : « Il ne faut pas dissocier évangélisation et engagement social ! »

Le sociologue et théologien ivoirien Rubin Pohor nous livre ses réflexions sur le sujet de la pauvreté au cours de 3 interviews...

Rubin Pohor est sociologue et théologien. Il dirige actuellement le Département de Développement Holistique (DDH) de la Faculté de Théologie Évangélique de l’Alliance Chrétienne (FATEAC) à Abidjan. Cet article s’inscrit dans une série de 3 interviews réalisées avec lui sur le sujet de la pauvreté et du développement…

SEL : L’évangélisation et l’action sociale sont parfois mises en concurrence. Comment articulez-vous les deux ?

Rubin Pohor : Je pense qu’il faut éviter un dualisme entre l’évangélisation et l’engagement social. Parce que l’engagement social du chrétien ou des Églises est à la fois une des conséquences de l’évangélisation mais aussi une préparation à l’évangélisation. Quand on va évangéliser, il y a toujours des gens qui ont besoin d’aide. On ne peut pas aller annoncer l’Évangile à quelqu’un et rester insensible à son besoin. C’est pourquoi je parle de conséquence de l’évangélisation. À l’inverse, en partant de l’action sociale, on peut aussi aboutir à de l’évangélisation. C’est pourquoi je parle aussi de l’engagement social comme d’une préparation à l’évangélisation.

Les deux doivent aller de pair. Il ne faut pas dissocier évangélisation et engagement social. L’Évangile nous invite à prendre soin les uns des autres, à amorcer des actions vis-à-vis de la société. Il y a une responsabilité sociale qui découle de l’Évangile. La distinction entre évangélisation et action sociale peut être le fait de concepts ou de théories mais dans la pratique il ne faut pas séparer les deux. Ils doivent se soutenir et se renforcer mutuellement pour que nous ayons un Évangile qui soit complet. Ici, à la faculté de théologie évangélique d’Abidjan, nous avons un département de développement holistique dont je suis le directeur. Dans notre conception, si quelqu’un a faim, on ne peut pas se contenter d’aller lui prêcher l’Évangile. Il faut aussi lui donner à manger.

Vous parlez de développement holistique. D’autres utilisent le terme de mission intégrale pour évoquer « la proclamation et la mise en pratique de l’Évangile ». Quel regard portez-vous sur ces notions qui cherchent justement à éviter une séparation trop importante entre évangélisation et engagement social ?

La mission doit être intégrale ou holistique. Quand nous prêchons, il nous faut prendre en compte tous les aspects, toutes les dimensions de la vie de l’homme. Rien ne doit être négligé dans notre façon d’apporter l’Évangile aux gens ou de vivre l’Évangile avec les autres. Il faut le faire avec les moyens que nous avons. Ces moyens sont à la fois spirituels mais ce sont aussi les moyens que Dieu met à notre disposition. Ça va de pair.

Si on apporte l’Évangile à un séropositif, il faut s’attendre à ce qu’il vienne avec tous ses problèmes au Seigneur. On doit alors s’attendre à l’accompagner dans toutes les dimensions de sa vie : que ce soit au niveau de l’achat de ses médicaments, de l’accompagnement psycho-spirituel, de l’accompagnement dans son environnement de vie et même aussi des personnes qui l’entourent. Il s’agit d’une prise en charge complète de la personne qui tient compte à la fois de la douleur qu’il vit mais aussi de ce que Dieu lui apporte en tant que personne (malade ou non). Tous ces éléments doivent être pris en compte dans la façon dont on accompagne ce nouveau chrétien qui vient avec sa situation sociale à Christ.

Avez-vous le sentiment que les chrétiens comprennent bien cette dimension holistique du développement ? Qu’il s’agisse de chrétiens de France ou de Côte-d’Ivoire ?

La tendance qu’ont les gens aujourd’hui c’est de basculer d’un extrême à l’autre et c’est ce qu’il faut éviter. Il ne faut pas simplement que les gens prêchent l’Évangile mais il faut aussi tenir compte de la dimension sociale de l’Évangile. Or, à une époque, certaines personnes ont pu négliger l’engagement social. À l’inverse, d’autres chrétiens ont pris la dimension sociale tellement au sérieux qu’ils ont pu penser qu’elle était suffisante à elle seule pour tenir lieu de prédication de l’Évangile.

Je crois qu’il faut allier les deux. C’est cette cohérence de pensée qui nous interpelle dans notre engagement dans la mission intégrale. On doit se demander comment allier de façon biblique et dans une bonne compréhension de l’Écriture, ce que Dieu nous demande vis-à-vis de l’âme tout en tenant compte des besoins sociaux des gens. La mission intégrale (ou holistique) doit tenir compte de toutes ces dimensions, les mettre ensemble et essayer de parler de l’Évangile dans son sens plein (et pas partiel).

Si on regarde aujourd’hui ce qui se passe dans le cadre de la Côte d’Ivoire, il y a beaucoup de structures qui mettent en place des services d’ordre social et qui pensent que ces services tiendront lieu d’annonce de l’Évangile. C’est déjà bien de mettre cela en place mais il me semble qu’il ne faut pas négliger l’aspect d’évangélisation ou de témoignage. Si l’Évangile est présent dans ces structures, si à l’intérieur du service médical on associe la prédication, l’accompagnement des malades, la prise en charge spirituelle des souffrances des malades, je pense que le malade aura gagné à être soigné dans un hôpital chrétien. Il faut allier les deux. C’est aussi valable pour l’Europe que pour les pays africains…

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