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Serge Oulaï : « Le Français est dans une relation de compassion avec l’Africain. »

Serge Oulaï, pasteur, évoque l'importance de l'engagement social chrétien et interroge la relations des chrétiens français avec l'Afrique.

Serge Oulaï raconte son parcours qui l’a conduit à prendre conscience de l’importance de l’engagement social du chrétien (qui a deux patries, céleste et terrestre). Il interroge ensuite la façon dont les chrétiens français se positionnent face aux Africains et à la pauvreté en Afrique.

Serge Oulaï est pasteur de l’Église AEEI de Créteil et secrétaire général de l’association de jeunesse des AEEI Maranatha. Il est originaire de Côte d’Ivoire et a développé une réflexion chrétienne sur les réalités sociales à partir de son étude de la Bible et de son expérience ivoirienne et française.

Pourriez-vous nous raconter votre parcours et en particulier ce qui vous a conduit à vous intéresser aux questions sociales et de pauvreté ?

J’ai fait des études en économie, en Côte d’Ivoire, dans les années 90. Certains des professeurs qui m’ont marqué étaient dans l’opposition. Leurs enseignements nous interpellaient sur les questions de justice sociale et sur la réalité des relations entre la France et l’Afrique. Je n’étais pas encore chrétien à ce moment-là.

C’est après ma conversion que ces sujets ont vraiment commencé à m’intéresser – et cela aussi en raison de la situation sociopolitique de mon pays qui a connu de grands changements suite à la mort du président Houphouët-Boigny (1993).

Je me suis impliqué dans les GBU (Groupes Bibliques Universitaires) au sein desquels les questions de justice sociale étaient très présentes.

J’ai découvert à ce moment-là que j’avais deux patries : la patrie céleste, à laquelle j’appartenais depuis peu et ma patrie terrestre, la Côte d’Ivoire. Je me suis rendu compte que nous avions aussi ce mandat de la gérance de la terre. La question devenait alors : comment me positionner en tant que chrétien au milieu de cette crise socioéconomique ?

Pourriez-vous préciser un peu le contexte dans lequel vous vous trouviez ?

Dans le milieu étudiant, nous assistions à des luttes syndicales. Je me souviens de ces jeunes qui étaient pleinement engagés pour que nous obtenions une bourse à tous les niveaux. La police était descendue sur le campus pour les arrêter. Nous avions tous fui à l’époque. Ces jeunes sont rentrés dans la clandestinité ou se sont fait arrêter. Avec leur lutte, nous avons tous obtenu la bourse.

Je me suis fait la réflexion suivante : pendant que ces jeunes, qui n’étaient pas chrétiens, manifestaient dans la rue, nous, les chrétiens, nous nous repliions dans nos familles ou dans nos résidences chrétiennes. Nous nous contentions de prier. Et quand ces jeunes ont obtenu ces avantages sociaux, nous étions parmi les premiers à être dans les rangs pour prendre nos bourses. En tant que chrétien, c’est quelque chose qui ne m’a pas paru tout à fait juste.

Pour vous, quel est le rapport entre la foi et l’engagement sociopolitique ? Ou entre les deux patries dont vous avez parlé ?

Les deux dépendent de Dieu ! Dieu est le Créateur de la terre et de l’univers. C’est donc lui qui a créé la Côte d’Ivoire. Dieu est Maître de toutes choses. L’existence dans les deux patries ne doit pas être cloisonnée comme si elles étaient étanches. Il y a un rapport.

Dans la crise que traversait mon pays, je me suis demandé : qu’est-ce que je fais ? Est-ce que je me contente de prier pour la paix ? Ou suis-je invité à apporter une certaine contribution en tant que sel de la terre et lumière du monde ?

Dans le cadre des GBU, vous découvrez la réflexion évangélique latino-américaine sur les questions sociales…

Dans les GBU d’Afrique Francophone, nos leaders, notamment Daniel Bourdanné, insistaient sur la thématique du positionnement du jeune intellectuel chrétien africain au sein de sa société. Nous sommes citoyens du ciel, mais aussi présents dans un continent qui a besoin de toutes ses forces intellectuelles – et nous faisons partie de ces forces intellectuelles.

En assistant au congrès mondial des GBU, nous avons participé aux ateliers sur la justice sociale. C’est là que nous avons été mis en relation avec la réflexion latino-américaine. Du reste, ce n’était pas seulement une réflexion : ils avaient des actions concrètes !

Leur pensée mettait en avant le fait que Dieu est aussi le Dieu des pauvres ; que parce que Jésus est proche des pauvres, l’Église et les chrétiens ne pouvaient pas se contenter de prier face à la pauvreté, mais devaient aussi s’engager à lutter contre la pauvreté par des actions concrètes.

Qu’est-il important que les chrétiens en France comprennent concernant les situations de pauvreté dans les pays du Sud ?

Je pense qu’il faut que les chrétiens français accèdent à l’information nécessaire pour comprendre la réalité de la relation entre la France et les pays africains. Ayant fréquenté un certain nombre de chrétiens français, il me semble qu’ils n’ont pas toujours l’information et les éléments d’analyse sur ce contexte international.

Toute la responsabilité de la pauvreté dans les pays du Sud ne repose pas sur les pays Occidentaux. Je suis le premier à le défendre très fermement. Mais les chrétiens français doivent savoir qu’il y a quand même une partie de ce que les pays africains vivent dans les aspects de pauvreté qui est lié à une histoire et à un présent de relations internationales difficiles.

Est-ce que le chrétien français s’intéresse à ces relations internationales ? Globalement, je pense que non. Est-ce que le chrétien français est informé de la pauvreté ? Globalement, je pense que oui. Le résultat, c’est que le rapport que les chrétiens français établissent avec nous est un rapport de compassion. Ils ont pitié de nous. Ils ont en effet principalement entendu parler de misère et de demandes d’aide. C’est pourquoi il est important d’outiller les chrétiens sur les questions de justice sociale. Des organismes chrétiens comme Michée France ou des médias généralistes comme RFI, qui présentent des opinions contradictoires, offrent des éléments d’informations utiles pour se faire sa propre idée.

Pourriez-vous nous en dire plus sur votre regard concernant les relations entre la France et la Côte d’Ivoire ?

C’est la relation d’un pays puissant vis-à-vis d’un pays faible, pour ne pas dire pauvre. On dit aujourd’hui qu’il s’agit d’une relation de partenariat, mais c’est un partenariat inégal, vu le poids respectif des deux pays. Il reste en faveur de la France et beaucoup d’accords et de contrats bénéficient plutôt à la France.

Du point de vue humain, le Français est dans une relation de compassion avec l’Africain au lieu d’être dans un rapport de vis-à-vis.

Ceci étant dit, même en informant sur la réalité des relations internationales, il faut peut-être aussi sensibiliser le chrétien français sur le fait que nous ne devons pas toujours tout penser en termes de relations de force. Invitons à un regard humain et à des relations humaines. Les humains qui vivent en Côte d’Ivoire ont une histoire qui les situent dans un certain contexte, mais il ne faut pas les résumer à cela. Nous sommes tous des humains !

De quoi les Français devraient-ils se sentir responsables dans cette situation internationale problématique et que devraient-ils se sentir responsables de faire ?

Le Français ordinaire lambda n’a pas à être comptable de ce que l’État français a fait. Moi qui suis d’origine ivoirienne je sais très bien que mon État prend des décisions que je n’aurais pas souhaité.

Cela dit, est-ce qu’en tant que citoyen, je n’ai pas à m’intéresser à des choses dans lesquelles mon pays a une responsabilité ? Il y a des voix qui s’élèvent régulièrement en France (ONG, associations de droits de l’homme, etc.) mais est-ce qu’on les entend ? Est-ce que le Français moyen s’en préoccupe ?

Il faut que les citoyens se laissent informer avant de mener une réflexion. Cela prend du temps. Moi-même, je ne me suis pas engagé de façon instantanée : j’ai mené une réflexion pendant plusieurs années avant que mon engagement ne voie le jour. On a besoin de comprendre et de se positionner soi-même individuellement, sinon on épouse une cause qu’on ne connaît pas, ce qui n’est pas le chemin indiqué.

J’ai découvert donc que j’avais deux patries ! Toutes deux dépendent du « Maître des cieux et de la terre » et « le chemin du ciel passe par la terre ». Ce qui implique de facto que ces appartenances m’exhortent à un engagement vis à vis de chacune de ces patries. N’est-il pas vrai que l’engagement en question fait obligation au chrétien d’être un agent de justice sociale et de paix ?

À titre personnel, on peut s’informer et se demander si l’on peut trouver un engagement, même à un petit niveau, pour apporter un peu de justice. Pour moi, cela a notamment été l’éducation citoyenne en Côte d’Ivoire. Les organisations et les institutions chrétiennes, de leur côté, devraient aider à un éveil de la conscience sur ces sujets. Que des structures comme le SEL ou Michée France continuent à sensibiliser sur ces sujets.

Pour poursuivre votre réflexion, nous vous suggérons de lire l’interview en trois parties du théologien ivoirien Rubin Pohor :

Il faut lutter contre la pauvreté pour restaurer la dignité de l’être humain !

Il ne faut pas dissocier évangélisation et engagement social !

Dans la lutte contre la pauvreté, les communautés du Sud peuvent aussi soutenir celles du Nord !

En savoir plus sur l'auteur
Daniel Hillion
Directeur des études au SEL