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Amour du prochain et éthique sociale : quels fondements, quelles mises en pratique ?

A l’occasion de la Journée du SEL, Daniel Hillion, directeur des études au SEL, a questionné plusieurs pasteurs et théologiens sur la question de l’amour du prochain. Voici le résultat de son échange avec Alain Nisus, pasteur en charge de trois Églises en Guadeloupe.

Vous écrivez que « [l]a recherche du bien et de l’équité, le respect des droits des plus pauvres, des plus faibles, des plus démunis, ne sont pas des préoccupations uniquement « humanistes », mais elles sont théologiquement motivées. Elles sont constitutives de la connaissance du Seigneur »[1]. Pourriez-vous dire quelque chose de la motivation théologique de l’amour du prochain pauvre ?

La place de l’engagement social des chrétiens dans la société contemporaine

Je commencerai ma réponse en attirant l’attention sur certains traits de la situation contemporaine : le chrétien d’aujourd’hui peut se sentir un peu frustré et avoir l’impression que l’éthique sociale ou l’aide aux plus démunis lui ont été enlevées par un État devenu « État providence » qui s’est engagé avec différentes aides en direction des plus pauvres et a repris en les sécularisant des domaines qui étaient un peu des prérogatives de l’Église par le passé. Cela ne veut bien sûr pas dire qu’il n’y a plus d’espace pour les chrétiens, mais il leur faut reconnaître que l’engagement social n’est plus une spécificité qui leur appartiendrait en propre.

D’autre part, certains peuvent avoir l’impression que l’on voudrait que l’Église ne s’occupe plus que du social aujourd’hui et que son discours aille dans le sens du politiquement correct. Donc d’un côté le social n’est plus spécifiquement chrétien et de l’autre on voudrait que l’Église se concentre sur le social ! Il est très intéressant de relever le retournement de situation concernant les réactions aux discours éthiques tenus par les religions : lorsque l’Église catholique a publié en 1891 sa première encyclique sociale, Rerum novarum, sur la condition des ouvriers, les patrons ont réagi en disant en gros que l’Église devait s’occuper des questions familiales et sexuelles, mais que l’économie ne la regardait pas ! Aujourd’hui quand les chrétiens disent qu’il faut soutenir les pauvres la chose est plutôt bien reçue alors que les positions classiques sur les questions d’éthique sexuelle ne passent plus. Par conséquent certains chrétiens vont se concentrer entièrement sur l’éthique sociale et ne plus rien dire en matière de sexualité. D’autres vont aussi aborder ce dernier sujet en sachant que leurs propositions ne seront pas bien reçues et en prenant le risque que la parole de l’Église soit rejetée en entier, y compris en matière sociale.

Il n’est pas toujours facile de déterminer quelle est la voie la plus sage à adopter, mais il est en tout cas important de nous rappeler que si nous nous engageons dans l’éthique sociale et l’aide aux plus démunis, ce n’est pas pour faire plaisir ou pour nous faire bien voir de nos contemporains, mais parce que le Seigneur nous y appelle et que cela fait partie de notre foi. La Parole de Dieu nous incite à aimer notre prochain : on observe un souci très net et très marqué pour le pauvre dans toute l’Écriture. Notre implication ne relève donc pas seulement de préoccupations « humanistes » [2].

Il faut relever deux points fondamentaux à la base de l’action d’aimer son prochain

1. Dieu nous demande d’aimer

D’abord le caractère de Dieu qui demande d’aimer, lui qui est un Dieu d’amour. Dans le passé on a parlé d’option préférentielle pour les pauvres. La formule a été critiquée mais on ne peut pas nier le souci particulier de Dieu pour les plus démunis dans l’Écriture. Mentionnons Deutéronome 10.17-20 qui décrit l’Éternel comme faisant droit à l’orphelin et à la veuve et aimant l’immigrant.

2. Dieu a créé le pauvre à son image

Deuxième élément : le pauvre est aussi image de Dieu. Tout être humain est image de Dieu et le pauvre aussi ! Cela peut paraître banal de le dire mais comme la dignité du pauvre ne s’impose peut-être pas autant que celle du riche, il faut le rappeler. Tout être humain est ontologiquement et intrinsèquement image de Dieu. Je constate souvent dans l’Écriture une dénonciation forte de l’exploitation du pauvre. Ce n’est pas anodin ! Je me rends compte que dans certains pays – y compris le mien – on exploite assez facilement ceux qui vivent dans la pauvreté. On ne les paie pas ou on ne leur donne pas un salaire équitable, juste.

Il ne s’agit pas pour autant d’idéaliser le pauvre comme certains chrétiens qui en font l’incarnation même du Christ – avec une lecture particulière de Matthieu 25 (« J’ai eu faim et vous m’avez donné à manger »). Ceux qui ont vécu avec les pauvres savent qu’ils sont eux aussi pécheurs. Ils ont besoin de la grâce et du pardon de Dieu. Mais, comme le dit Henri Blocher, l’homme pèche tant qu’il peut : il pèche avec les moyens qu’il a à sa disposition. Les riches pèchent en tant que riches : il y a des péchés de riches. Il y a aussi des tentations spécifiques aux pauvres. Mais parce que leur dignité ne s’impose pas à tous, le chrétien doit se solidariser avec eux.

Dans la suite de sa réflexion sur l’amour du prochain et l’éthique sociale, Alain Nisus, répond notamment aux questions suivantes :

  • Est-ce que le commandement biblique de l’amour du prochain et les idéaux de notre société par rapport au souci du pauvre se rejoignent ou y a-t-il des décalages ?
  • Sommes-nous appelés à changer la société et son organisation, ce qu’on appelle parfois le « système » ou plutôt à y pratiquer le bien sans forcément chercher directement à la transformer ?
  • Dans quelle mesure accepter le monde tel qu’il est va-t-il pour ou contre l’amour du prochain ?
  • Comment peut-on aimer son prochain de façon authentique à l’intérieur d’un système qui opprime le prochain ?
  • À quel moment devenons-nous « complices » si nous ne faisons pas changer les choses ?

Pour lire la suite, inscrivez-vous à la Journée du SEL ! Vous trouverez le texte dans son intégralité, ainsi que d’autres réflexions sur le même sujet écrites par des pasteurs et théologiens.

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[1] Alain Nisus,  » Le prophète Jérémie défenseur de la justice sociale, in Stop à la pauvreté, Actes du colloque
de la faculté de théologie évangélique de Vaux-sur-Seine, Editions LLB, Edifac, Valence, Vaux-sur-Seine, 2007, p.14.

[2] Même si le mot  » humaniste  » s’entend dans plusieurs sens différents dont certains pourraient convenir pour le christianisme, par exemple si l’on prend l’expression  » humanisme intégral  » au sens d’une vision qui concerne tout l’homme. 

 

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Daniel Hillion
Directeur des études au SEL