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Avoir plusieurs cordes à son arc

Harmony, ingénieure agronome, travaille au sein de notre organisation depuis 2017 en tant que Chargée de projets. Passionnée d’agriculture, elle a accepté, au travers de cette interview, de nous en apprendre plus sur le sujet et en particulier sur la situation des paysans en Afrique subsaharienne.

Claire Huang-Yau : L’agriculture est un vaste sujet. Qu’est-ce que ce mot recouvre ?

Harmony : C’est vrai que le mot est employé pour pas mal de choses et suivant les contextes on entend des choses différentes. Pour notre propos, l’agriculture responsable désignera la culture et l’élevage, principalement destinés à la consommation. 

Parlons de la situation des paysans en Afrique subsaharienne…

Un paysan en Afrique subsaharienne doit faire face à beaucoup de défis. Le premier va être l’accès à la terre : il n’est pas toujours évident pour lui d’avoir des terres à cultiver. Ensuite, la pauvreté de ces terres : quand on a une terre, elle ne produit pas forcément. D’autres défis : avoir des outils performants et des semences de qualité, en quantité suffisante et qui soient adaptées au contexte climatique. 

Quelles sont les conséquences de ces défis sur le quotidien des paysans ?

La première va être la distance avec le terrain. On avait le cas par exemple, en République démocratique du Congo, de femmes qui devaient rester au champ une semaine lorsqu’elles se déplaçaient sur le terrain. Elles dormaient sur place parce qu’elles ne pouvaient pas faire des allées et venues. La distance [entre leur domicile et le champ] faisait aussi qu’elles ne pouvaient pas très bien surveiller leurs cultures.  

Ensuite le manque d’outils va demander plus de travail, de force, de temps pour parfois peu de rendement. Et puis sans les bonnes semences ou les bons fertilisants, il arrive que la culture ne produise pas suffisamment pour nourrir ta famille. Alors il faut acheter de la nourriture, mais avec quel argent… ? 

Selon vous, qu’est-ce qui leur manque pour relever ces défis ?

On a déjà parlé d’avoir de bons outils, pas forcément des outils super techniques, ça peut être une simple charrue animale plus efficace et qui fait gagner du temps. Ensuite avec le même outil on peut parfois appliquer différentes techniques agricoles pour maximiser les bienfaits. Il est donc important de former les paysans. Par exemple avec la culture en zaï, [idéale en zones arides], au lieu d’apporter de la matière organique n’importe où, on fait un trou dans le sol, on y plante une graine et on y met un peu de fertilisants et d’eau pour être sûr que cette graine-là en bénéficie. Même la forme du trou est étudiée pour que l’eau des pluies s’infiltre bien et que le sol ne s’érode pas trop.  

Enfin, ce qui leur manque, c’est de l’indépendance : fabriquer leur propre engrais pour ne pas dépendre de l’engrais chimique qui coûte cher ; apprendre à produire leurs propres semences pour les avoir à temps et ne pas rater les premières pluies ; avoir une charrue pour ne pas avoir à louer celle du voisin… L’agriculture c’est travailler avec la nature, avec des saisons, des temps précis : si tu “loupes” la bonne pluie au bon moment ça ne va peut-être pas marcher. Tu ne peux pas te permettre d’être, en plus, dépendant pour tes semences, ton engrais ou ton matériel. 

Ça, c’est en temps normal… Lorsque des crises diverses viennent s’y ajouter, comment faire face ?

En anticipant ! On peut le faire en mettant en place des techniques [agricoles], comme le zaï, ou en essayant de maîtriser plusieurs étapes d’une même filière [de la production à la commercialisation, en passant par la transformation]. Par exemple, l’ananas est une denrée rapidement périssable, si tu n’arrives pas à tout vendre tout de suite tu finis par le vendre à prix cassé. Par contre, si tu sais produire du jus d’ananas, ça te permet de le conserver mais aussi d’ajouter de la valeur à ton produit. Tu peux choisir à quel moment vendre et surtout à quel prix. 

Ensuite, anticiper c’est aussi se diversifier. Avoir deux cultures complémentaires dans un champ permettra qu’ensemble elles survivent à une crise. Par exemple, en ayant des arbres dans ton champ le sol captera mieux l’eau. Des céréales associées à des arbres pourront survivre plus facilement à une sécheresse que des céréales seules. 

On peut aussi diversifier ses activités, en combinant élevage et culture, l’un bénéficiant à l’autre : le fumier peut être utilisé pour enrichir les sols et les résidus de culture peuvent nourrir les animaux. Et puis comme pour la diversification des cultures, si une sécheresse emporte ton maïs, tu auras peut-être encore ton élevage. C’est le principe de ne pas mettre tous ses œufs dans le même panier ! 

Justement, nos partenaires chrétiens locaux misent sur la diversification dans leurs projets agricoles. Ayant pu visiter certains de ces projets, qu’est-ce qui vous a marquée ?

Ce qui m’a le plus marquée c’est l’état d’esprit des partenaires et des bénéficiaires. C’est marquant de voir que malgré les difficultés et les aléas, ils sont battants et travaillent courageusement ! C’est marquant de voir que malgré tout, il y a beaucoup de joies, de victoires et de générosité. 

Parfois dans les villages les gens peuvent se dire « c’est peine perdue », « c’est trop grand pour moi, je ne peux pas m’en sortir ». Nos partenaires sont attachés au fait que chacun peut faire quelque chose, qu’il n’y a pas besoin de voir grand tout de suite. C’est comme une plante, ça grandit petit à petit. Et puis, ils font tout ça par amour de leur prochain ! 

Quelles sont les améliorations que les bénéficiaires constatent dans leur vie ?

Déjà, l’amélioration de leur activité, qui leur permet de s’accrocher. Ensuite, une fois que l’activité fructifie, ils mangent mieux et plus. Financièrement, c’est aussi un soulagement pour les frais de santé, les frais de scolarité des enfants, l’achat de vêtements.  

Certains s’achètent un vélo ou une moto. C’est un cercle vertueux : quand tu as un moyen de transport, tu peux plus facilement aller chercher les outils dont tu as besoin pour travailler ou même aller récolter et vendre directement sans avoir à faire de nombreux allers-retours. Tu peux te rendre au centre de santé ou amener ton enfant à l’école. Tout est plus facile !  

Et puis parfois, le positionnement au sein de la communauté change. Des femmes m’ont dit que maintenant qu’elles ont une activité, des revenus et s’habillent mieux, elles sont davantage considérées et écoutées. Ce sont des choses qui, petit à petit, changent complètement la vie. 

Pour aller plus loin

Pour soutenir nos partenaires chrétiens agriculture en Afrique subsaharienne, rendez-vous sur le site du SEL : www.selfrance.org/projets-de-developpement/agriculture/