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Rubin Pohor (1) : « Il faut lutter contre la pauvreté pour restaurer la dignité de l’être humain ! »

Le sociologue et théologien ivoirien Rubin Pohor nous livre ses réflexions sur le sujet de la pauvreté au cours de 3 interviews...

Rubin Pohor est sociologue et théologien. Il dirige actuellement le Département de Développement Holistique (DDH) de la Faculté de Théologie Évangélique de l’Alliance Chrétienne (FATEAC) à Abidjan. Cet article s’inscrit dans une série de 3 interviews réalisées avec lui sur le sujet de la pauvreté et du développement…

SEL : En tant que sociologue, quel regard portez-vous sur la pauvreté ?

Rubin Pohor : Toutes les sociétés humaines ont une partie de leur population qui vit avec des conditions matérielles plus difficiles que les autres. Dans toute société, il y a des gens qui sont considérés comme des personnes pauvres. La pauvreté est donc une situation à relativiser. D’abord à cause de ses modalités de définition. Ça va être difficile de définir le pauvre parce qu’il faut se situer dans le contexte du pauvre pour pouvoir bien définir ce que va être la pauvreté. Mais aussi du fait des formes variées que peut prendre la pauvreté. La pauvreté a des portées politiques, religieuses…

Si on part de tous ces constats, il faut avoir une définition globale qui tienne compte de ces différents aspects. En restant simple, on peut dire que la pauvreté renvoie à une catégorie sociale. Une catégorie qui est appréhendée en fonction de son niveau de vulnérabilité et de sa capacité de résilience[1]. En sociologie, on utilise beaucoup la notion de résilience. Quand quelqu’un appartient à une catégorie qui a un niveau de vie inférieur à une autre, elle se situe comme étant pauvre par rapport à cette personne. Il y a un aspect social qui ressort beaucoup dans l’approche sociologique de la pauvreté.

On peut aussi se référer à ce qu’on lit généralement dans les documents de stratégie de réduction de la pauvreté. La pauvreté y est appréhendée comme étant la situation d’une catégorie de population qui est considérée comme pauvre par rapport à une autre qui ne l’est pas (seuil d’extrême pauvreté à 1,90 $ par jour et par personne par exemple). Il y a des gens qui sont pauvres et d’autres qui ne le sont pas. On laisse néanmoins entrevoir la possibilité qu’il y ait des degrés de pauvreté différents en fonction de l’écart qui sépare la situation d’un individu ou d’un ménage par rapport à une norme qui est décrite.

En tant que théologien, que pouvez-vous dire de la façon dont la Bible caractérise la pauvreté ?

La description du pauvre est aussi présente dans la Bible. On y voit la notion de petits et de grands, de riches et de pauvres. On a des gens qui sont appréhendés en fonction de leur niveau de vulnérabilité et de leur capacité de résilience. Par exemple, certains textes bibliques parlent de ne pas dépouiller le pauvre. Le pauvre est alors présenté comme une personne qui n’a rien par rapport à une autre personne qui a et qui cherche à le dépouiller. Donc une certaine catégorisation de la société est aussi présente dans la Bible.

Cependant, la Bible va plus loin dans la notion de la pauvreté. Elle n’est pas seulement matérielle, elle est aussi spirituelle : « heureux les pauvres en esprit ». Il s’agit d’une catégorie de pauvreté qui est liée à un individu qui a des difficultés dans son rapport à Dieu, qui a tout un tas de problèmes relationnels avec Dieu. Le pauvre en esprit est quelqu’un qui a besoin d’aide spirituelle plutôt que d’aide matérielle. Donc on voit là que la notion passe d’un aspect matériel à un aspect spirituel, psychologique (tout ce qui peut peser sur un individu). Donc la Bible n’est pas loin de la notion de pauvre telle qu’on la définit mais elle la précise aussi en allant un peu plus loin.

Sur quoi se fonde l’engagement des chrétiens contre la pauvreté ? En quoi la Bible encourage-t-elle (ou non) à lutter contre la pauvreté ?

Les fondements bibliques pour lutter contre la pauvreté sont multiples. J’en relèverai deux. La première raison est qu’il faut lutter contre la pauvreté pour restaurer la dignité de l’être humain créé à l’image de Dieu. Il faut que la restauration physique aille de pair avec la restauration spirituelle. Il faut que l’homme soit totalement rétabli dans son être.

Le second fondement réside dans l’amour pour notre prochain. Il y a une autre manière de voir les biens que Dieu nous donne. Si j’ai un peu plus aujourd’hui, c’est une grâce que Dieu me fait et cette grâce-là je vais la partager avec ceux qui n’en ont pas. La Bible m’encourage à agir vis-à-vis de ceux qui sont dans une situation sociale plus délicate que moi.

Que diriez-vous aux chrétiens pour qu’ils soient encouragés à lutter contre la pauvreté ?

Quand Christ nous dit qu’il y aura toujours des pauvres parmi nous, il ne veut pas nous décourager et il ne nous dit pas de ne pas nous en occuper. C’est plutôt une façon de dire que notre mission est une longue mission. C’est comme cela que je comprends le texte. Jusqu’à ce qu’il revienne, nous avons une mission vis-à-vis des pauvres parce qu’ils seront toujours parmi nous. Cela signifie que les communautés chrétiennes doivent rester de façon permanente vigilantes face à ce qui peut dénaturer l’individu et le faire souffrir.

Aujourd’hui, certaines personnes prêchent un autre Évangile en disant qu’un chrétien ne peut pas être pauvre. Il faut lutter contre ça. Un chrétien peut être pauvre mais dans l’Église, les riches ou ceux qui ont les moyens doivent faire en sorte que les pauvres se sentent à leur place dans la communauté. Cela suppose qu’il y ait à l’intérieur des communautés chrétiennes des structures qui existent pour prendre en charge les personnes qui sont vulnérables. Cela suppose aussi que l’on soit perpétuellement sensible à ce facteur. D’un moment à l’autre, tout individu peut basculer dans la pauvreté et l’Église doit être à même d’y répondre quel que soit sa taille.

Vous avez évoqué l’Évangile de prospérité.

On ne devrait pas parler d’Évangile de la prospérité mais plutôt d’Évangile prétendu de la prospérité. C’est un langage qui dit que le chrétien ne peut pas être pauvre mais qui n’est pas juste et pas conforme à la lecture que nous devons avoir de l’Écriture. Dans la Bible, il y a des pauvres et il y a des riches. Ils vivent ensemble et c’est contre la fracture sociale entre les deux que Dieu demande au chrétien de lutter. Il nous demande de faire en sorte que parmi nous il n’y ait pas de gens qui n’aient pas le minimum pour vivre. Le chrétien doit être sensible à cette injustice-là.

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[1] La résilience peut être définie comme « la propriété d’un individu à résister psychiquement aux épreuves de la vie ».