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Prendre soin des pauvres : plus qu’un engagement, un mandat biblique

Patrice Kaulanjan est un chrétien aux multiples casquettes : mari, père, pasteur, professeur, président du Centre Evangélique… En qualité de président de l’Alliance des Églises Évangéliques Interdépendantes (AEEI), union partenaire du SEL, il répond à nos questions et développe une compréhension stimulante de la manière dont la Bible nous conduit à prendre soin des pauvres.

Pouvez-vous vous présenter en quelques mots ?

Je suis d’origine indienne natif de la Guadeloupe – qui est une réunion de peuples et de cultures. Les Indiens sont venus des comptoirs français aux Indes après l’abolition de l’esclavage. J’ai grandi dans un milieu culturel et religieux de type syncrétiste qui mélangeait l’hindouisme et le catholicisme. C’est à l’âge de 15 ans que j’ai reçu le Seigneur par le ministère d’un évangéliste pionnier. Je me suis rapidement engagé dans l’Église : avec les jeunes mais aussi avec les adultes. Mon Église en Guadeloupe, à Petit-Canal, m’a envoyé en France métropolitaine pour des études de théologie que j’ai faites à l’Institut Biblique de Lamorlaye. J’ai ensuite exercé mon ministère à Fresnes, à Vitry-sur-Seine, à Élancourt et maintenant à Versailles.

Je suis aussi président de l’AEEI, j’enseigne la théologie pratique à l’Institut Biblique de Nogent en tant que professeur et je préside depuis 10 ans le CEIA (Centre évangélique d’information et d’action). Je suis marié avec Liliane (qui a travaillé au SEL il y a quelques années) et nous avons quatre enfants – adultes aujourd’hui.

Pour vous quel est le sens de l’engagement chrétien face à la pauvreté ?

Je pense que cela fait partie de la vie du chrétien et du mandat qu’il a reçu tant sur le plan personnel que sur celui de l’Église. Dieu nous le demande.

Dans le Psaume 41, on lit :

« Heureux celui qui s’intéresse au pauvre ! Au jour du malheur l’Éternel le délivre ; l’Éternel le garde et lui conserve la vie. Il est heureux sur la terre… »

C’est vraiment quelque chose qui nous permet d’être heureux et d’exister, qui fait partie de la vie de l’être humain et plus encore de celle du chrétien.

C’est davantage qu’un « engagement » dans le sens d’activités qu’on accomplirait, c’est constitutif de notre vie. C’est sans doute dû au fait que nous sommes images de Dieu et au lien d’humanité que nous avons avec les autres. Nous ne sommes pas seuls : nous avons besoin les uns des autres et nous sommes conduits naturellement vers celui qui souffre, si nous laissons notre cœur ouvert et disponible.

Qu’est-ce qui a motivé l’AEEI à rentrer en partenariat avec le SEL ? Quel est l’intérêt d’un tel partenariat pour vous ?

C’est d’abord de répondre à ce que nous sommes et au mandat biblique. Si on lit Ésaïe 58.7, Dieu disait déjà de partager son pain avec le pauvre. Deuxièmement, pour moi une Église locale et une union d’Églises doivent intégrer dans leur vision cette dimension sociale. Certaines unions développent elles-mêmes leurs propres projets dans ce domaine.

En ce qui nous concerne nous avons pensé bon de faire partenariat avec une structure déjà existante et qui a de l’expérience, pour lui prêter main forte et qu’elle nous aide à développer notre mission sociale.

Comment rêveriez-vous que ce partenariat se décline au niveau de vos Églises locales et de leurs membres ?

Que chaque Église locale puisse entrer dans ce partenariat ! Que chacune travaille avec le SEL, le sollicite, entre aussi dans ses projets, invite le SEL à formuler des projets avec elle. Ce faisant chaque chrétien, à titre individuel, pourrait se saisir de cette dynamique pour agir personnellement – par exemple dans le parrainage. L’union quant à elle est là pour encourager les Églises locales. Elle doit tracer le chemin, créer l’espace et la confiance, montrer sur le plan national que nous sommes dans ce partenariat.

Avez-vous l’impression que l’importance de la solidarité internationale est bien intégrée parmi les chrétiens en France ? Quels sont les points encourageants et les domaines de progression ?

J’observe que les chrétiens évangéliques en France sont assez généreux. Ils peuvent donner pour un projet lors d’un appel. Mais cela ne doit pas se limiter à une action ponctuelle. La dimension sociale fait partie de nous et de l’Évangile. On le voit dans le discours eschatologique de Jésus en Matthieu 25 : lorsque vous donnez à manger ou à boire à l’un de ces petits, dit-il, c’est à moi que vous le faites. Il faut vraiment inculquer aux chrétiens et aux Églises locales cette dimension sociale de l’Évangile. Cela n’a pas encore été assez fait. Pour cela il faut s’entraider, en s’associant avec différents mouvements comme le SEL.

Certains font une distinction assez forte entre la responsabilité d’entraide à l’intérieur de l’Église et la responsabilité sociale à proprement parler. Qu’en pensez-vous ?

Il faut distinguer les deux mais elles sont liées. Si on prend le début d’Hébreux 13 qui parle de l’hospitalité le contexte est clairement celui de la communauté chrétienne. Il y a une solidarité ecclésiale à développer. Mais celle-ci doit rejaillir sur le monde d’une manière générale. Je dirais même que c’est dans la mesure où l’on développe la solidarité au sein de l’Église locale qu’on sera assez fort, assez convaincu, pour pouvoir exercer une solidarité plus large, au niveau de toute l’humanité.

Pour ses 40 ans, le SEL a choisi comme thème « Aimer son prochain ? Mission possible ! ». Cela rejoint aussi le thème du dernier CEIA « Aimer son prochain. Pourquoi ? Comment ? Et en temps de crise ? ». Qu’est-il important de retenir du thème de l’amour du prochain dans le contexte actuel en particulier en rapport avec la pauvreté ?

D’abord qu’il ne se limite pas à l’Église ! Certes le prochain, c’est d’abord mon frère ou ma sœur en Christ, mais c’est aussi plus large. En tant que chrétiens empreints de l’amour de Dieu – parce qu’il a été répandu dans notre cœur par le Saint-Esprit – nous nous devons de ne pas fermer les yeux sur la pauvreté dans le monde et particulièrement en France. Je me souviens de ce texte de l’Évangile où les disciples font remarquer à Jésus la beauté du Temple de Jérusalem… alors que son regard se porte sur une pauvre veuve qui dépose une pièce dans le tronc réservé aux pauvres. Jésus voit cette pauvre dame et pas la construction. Nous devons nous garder de ne pas voir la pauvreté dans le monde. En tant qu’Église et que chrétiens nous nous devons, au nom de l’amour de Dieu, d’être sensibles, d’être remplis de compassion.

Il est certain que nous ne pouvons pas répondre à la misère du monde entier mais il y a une chose que nous pouvons faire : par nos prières aller toucher le cœur du Père. Pour ces personnes qui sont peut-être loin et auprès desquelles nous ne pouvons pas concrètement être, nous pouvons prier. Nous pouvons aussi mobiliser nos Églises à prier pour la situation de l’être humain dans le monde parce qu’il y a beaucoup de souffrances.

Aimer son prochain ne se limite donc pas à l’Église locale même si cela commence là. Nous nous devons de regarder ceux qui ne sont pas de l’Église – qui sont quelquefois tout près de nous et qui sont quelquefois au loin. Si nous commençons avec ceux qui sont près, nous sommes dans le cœur de l’Évangile. Nous étions tous pauvres et étrangers spirituellement et privés de Dieu – et Jésus est venu vers nous.

Quel serait votre regard sur les questions structurelles liées à la pauvreté, sur les facteurs à l’origine de la pauvreté ? Pour prendre un exemple : quelle est la responsabilité du consommateur vis-à-vis des conditions de travail ou de rémunération de ceux qui ont fabriqué les produits qu’il consomme ?

Il y a des repères qu’il faut souligner. Tout d’abord, nous vivons dans une réalité de péché et nous ne parviendrons pas à construire un monde parfait. Il y aura toujours des injustices et des carences.

Deuxièmement, ce n’est pas pour autant qu’il ne faut rien faire et rien dire. Le chrétien doit agir avec discernement et réflexion pour se rendre compte qu’aujourd’hui l’homme n’est pas au centre de l’économie. Nous avons une économie qui ne cherche pas le bien de l’homme mais celui du capital et du profit. Nous sommes dans un système de production et de rentabilité, de concurrence sauvage. L’homme est broyé par ce fonctionnement qui engage dans une course pour déterminer qui arrivera le premier et sera le vainqueur. Forcément, il y aura au passage des laissés-pour-compte qui seront utilisés. La mondialisation n’a pas arrangé les choses parce que l’on peut délocaliser facilement pour produire à coût très bas. En d’autres termes : exploiter des personnes. Après cela, on va vendre le produit conçu à des prix exorbitants sur des marchés riches.

Dans ces conditions, qu’est-ce que les chrétiens devraient faire ?

Les chrétiens devraient réfléchir à cela. Or je pense que dans nos Églises – et c’est là une déception – on ne pense pas assez à ces questions-là. Sous prétexte d’être ultra-spirituel, on ne s’intéresse pas à l’économie et à la façon dont elle se développe, à tous ces flux de capitaux. Je trouve cela dommage.

Après la réflexion vient le discernement. Cela concerne notre façon de vivre et d’acheter. Il s’agit d’abord de ne pas tomber dans le consumérisme. Je ne parle pas de vivre dans le misérabilisme mais parfois nous stockons des choses dont nous n’avons pas besoin ou que nous n’utilisons pas. J’ai tendance à demander : pourquoi ne pas être minimaliste, c’est-à-dire ne pas consommer ce dont on n’a pas besoin ? Cela n’enlève en rien la notion de plaisir. On peut se faire plaisir avec discernement et avec peu. Je prône une réflexion sur la question de savoir ce que sont nos besoins. Il faut aussi une intelligence dans la consommation : chercher ce qui est le plus juste. J’encourage la consommation de proximité si on en a la possibilité. Il s’agit aussi de se renseigner sur les produits. Nous avons la chance d’avoir Internet, de pouvoir creuser. Certains produits permettent de soutenir un projet social. Ne nous arrêtons pas aux marques mais allons discuter avec les commerçants – ce qui est possible plutôt avec les petits commerçants.

Il y a donc un travail de sensibilisation à faire auprès des chrétiens pour les amener à cette réflexion, à ce discernement, à cette intelligence de consommation.

Les chrétiens en France sont-ils prêts à entendre un discours de sensibilisation dans ces domaines ?

Je pense que oui. Surtout si c’est fondé bibliquement. Il ne s’agit pas uniquement de quelque chose qui viendrait de mes tripes mais de ce que Dieu nous demande. Allons-nous fermer nos oreilles et notre cœur et ne pas entendre ? Ce n’est pas un système ou une œuvre ou une Église qui nous le demandent, mais bien Dieu. Cela doit faire la différence pour le chrétien s’il est consacré.

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Daniel Hillion
Directeur des études au SEL