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Idée reçue n°34 – « Le développement des pays producteurs de drogue passe par l’éradication des cultures illégales. »

Chaque semaine, le SEL décrypte une idée reçue sur le développement et la pauvreté. Ce que vous pensiez évident... ne l'est peut-être pas !

Tout au long de l’année, le SEL décrypte une idée reçue sur le développement et la pauvreté. Ce que vous pensiez évident… ne l’est peut-être pas ! Chaque jeudi matin, retrouvez ici cette chronique radio réalisée en collaboration avec Radio Arc-en-Ciel.

Gwladys (Radio Arc-en-Ciel) : Aujourd’hui, nous allons aborder un sujet atypique : la drogue. Et le lien qu’elle peut avoir sur le développement des pays producteurs. Un premier constat qui peut être fait c’est que l’économie de la drogue est importante, n’est-ce pas ?

Nicolas (SEL) : Oui. Dans certains pays, la production de drogue occupe une place centrale. C’est le cas par exemple de l’Afghanistan où la valeur de la production d’opium représente une part importante du PIB. Pour autant, si la drogue rapporte, ce n’est pas pour tout le monde. Force est de constater que les pays producteurs sont bien souvent pauvres ou faillis. On peut penser à la Colombie ou à la Bolivie aussi. Mais plus encore, ce n’est pas parce que des bénéfices sont dégagés que les cultivateurs sont ceux qui en profitent. Bien au contraire, ils restent souvent pauvres.

L’éradication des cultures illégales s’est posée comme solution pour lutter contre la drogue et ainsi permettre le développement des pays producteurs. Quel en est le bilan ?

L’éradication des cultures illicites est la réponse qui a été tout particulièrement soutenue par les États-Unis qui ont encouragé notamment l’épandage aérien d’herbicide. Seulement, on ne peut que constater que la production de drogue continue. Les producteurs se déplacent dans des zones encore moins accessibles. Le bilan de ces actions n’est donc pas très concluant. D’autant plus que ces opérations d’éradication forcée touchent généralement les parcelles des plus pauvres. Les plus puissants parviennent souvent à y échapper grâce à leurs relations et à la corruption.

Quelle solution serait plus efficace pour limiter l’offre de drogue ?

Il faudrait sûrement favoriser le développement de cultures alternatives plutôt que de s’engager dans le tout répressif. Le développement d’un pays ne peut se faire qu’avec ses habitants et non contre eux. Or, si on éradique les cultures illégales sans proposer quelque chose derrière, on ne fait que retirer à la population ses moyens de subsistance. Il est alors important de se donner les moyens financiers et politiques pour construire une alternative bénéfique à tous.

Comment concrètement est-ce que cela est possible ?

L’ONU s’est lancée dans cette voie. L’idée est de proposer des cultures de substitution au lieu du pavot ou de la coca. Les résultats diffèrent selon les pays : ils sont positifs en Thaïlande, moins en Afghanistan. Pour que ces projets de développement alternatif prennent leur essor, il faut en fait qu’ils soient accompagnés par la construction d’infrastructures routières, d’écoles… En effet, les paysans sont prêts à abandonner leurs cultures illicites pour des activités moins rémunératrices dès lors qu’ils sont assurés de travailler en sécurité, de pouvoir envoyer leurs enfants à l’école, de pouvoir écouler leurs marchandises grâce à la réfection des routes…

Si l’approche répressive n’a pas fonctionné, pourquoi continuer dans cette direction et ne pas privilégier les projets de développement alternatif ?

Seulement, le calendrier du développement n’est pas celui des hommes politiques. Électoralement, il est moins vendeur d’expliquer aux citoyens qu’il faudra de nombreuses années d’aide à un pays avant que la production de drogue n’y soit définitivement supprimée plutôt que de leur montrer des photos d’épandages aériens d’herbicide. La disparition des cultures illégales doit rester l’objectif à long terme mais il faut d’abord aider les paysans à développer des activités légales avant de leur imposer l’abandon du pavot ou de la coca.

Pour aller plus loin : Entretien avec Pierre-Arnaud Chouvy, Guerre contre la drogue : « Contre la production, la force est impuissante », Alternatives Internationales n°46, mars 2010.

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